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Alexandre Bleus : aux sources du Réel lacanien

La métaphore topologique qui clôt l’article d’Alexandre Bleus – comparant le Réel à un « trou topologique » analogue au signifiant insignifiable du Nom du Père – constitue une clé de lecture remarquable pour appréhender ce concept fondamental de la pensée lacanienne. Cette image du trou, loin d’être une simple figure de style, capture avec une précision mathématique la nature paradoxale du Réel : comme le trou qui, tout en n’étant « rien », structure l’espace qui l’entoure, le Réel se présente comme cette absence structurante qui organise toute l’architecture psychique du sujet. En établissant ce parallèle avec le Nom du Père, Bleus nous invite à penser le Réel non plus simplement comme un impossible à dire, mais comme le point d’origine même de toute possibilité de dire.

L’influence kantienne que Bleus met en lumière à travers les concepts de noumène et de phénomène prend ici une résonance particulière. Si le Réel échappe à toute tentative de saisie directe, ce n’est pas par défaut mais par structure – tout comme le noumène kantien n’est pas simplement ce qui échappe à notre connaissance, mais la condition même de possibilité de toute connaissance. Cette filiation philosophique éclaire d’un jour nouveau la clinique contemporaine : les manifestations actuelles de la souffrance psychique – addictions, troubles alimentaires, dépressions atypiques – peuvent être comprises comme autant de tentatives désespérées de « boucher » ce trou structural, de combler cet impossible qui, précisément parce qu’il est structural, ne peut ni ne doit être comblé.

La dimension traumatique du Réel, que Bleus qualifie élégamment de « black out » ou de « sans image », prend alors une signification plus profonde. Le trauma n’est plus simplement un événement qui n’a pu être symbolisé, mais la rencontre avec ce point de vide structural qui organise toute notre expérience. C’est peut-être là que réside la véritable radicalité de la pensée lacanienne : le trauma n’est pas un accident de parcours, une perturbation qui viendrait déstabiliser un système autrement harmonieux, mais la manifestation même de cette béance constitutive qu’est le Réel. La jouissance, dans cette perspective, apparaît comme la trace de cette rencontre avec le vide, une tentative toujours renouvelée et toujours vouée à l’échec de faire l’expérience de ce point impossible.

En définitive, la contribution majeure de Bleus est de nous permettre de penser le Réel non plus comme un simple concept théorique mais comme une véritable topologie de l’expérience humaine. Sa comparaison avec le trou topologique nous invite à considérer la clinique psychanalytique non pas comme une entreprise de comblement ou de réparation, mais comme un accompagnement du sujet dans son rapport à ce vide structurant. À une époque où la promesse de complétude est omniprésente – que ce soit à travers les nouvelles technologies, les thérapies « positives » ou les idéologies du développement personnel – rappeler le caractère nécessaire et structurant de ce trou qu’est le Réel constitue peut-être l’acte politique le plus radical que puisse poser la psychanalyse contemporaine.

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